Comment et dans quel contexte est né Evaluna ? Quel en est le projet fondateur ?

L’idée du projet est née en 2003 suite à un voyage au Québec et la rencontre de deux femmes, sexologues également. J’ai pour habitude, lorsque je voyage, de me rendre au moins dans un sex-shop afin de découvrir ce qui existe ailleurs.

A cette époque, les boutiques étaient à peu de choses près bien similaires : situées dans des quartiers plutôt proches des gares ou dit « chauds », agencées plutôt comme de minis supermarchés avec un maximum de produits au mètre carré, offrant une qualité de produits très aléatoire et tenues par du personnel plutôt masculin et peu formé à la relation humaine.

L’ambiance y était particulière, renforcée par une lumière soit froide, soit de style « néon », où les jouets « softs » côtoyaient des revues « hards » et, où le regard des personnes y entrant était confronté à une série d’images sexuelles pas forcément choisies, comme si chacun.e était supposé.e être à l’aise avec l’ensemble des articles présentés..

Finalement, je me suis retrouvé à visiter un sex shop qu’on m’avait recommandé, tenu par une femme dans la ville de Québec. J’y suis allé avec ma future associée et on y est restés une heure. Nous nous sommes senties à l’aise, dans une boutique vraiment différente.

A notre retour, nous en avons discuté avec une amie sexologue et avons commencé à rêver d’une boutique qui ressemblerait à ce qu’on trouvait important pour ce genre d’endroit, avec comme point fondateur, le constat que presque chaque humain.e a ou a eu une sexualité (même s’il existe d’autres modèles, ceux-ci se définissent souvent par rapport à ce premier constat) et, que cette sexualité n’est pas isolée complètement du reste de notre vie et de nos besoins.

La connaissance de son propre corps était un gage d’un meilleur épanouissement sexuel et affectif dans nos vies, entre autre,car il permet à chaque personne de ne pas tout attendre de l’autre dans la relation sexuelle. C’est donc ainsi, qu’autour d’un café et après avoir étudié le marché, on s’est dit : Et si on le faisait ?

Nous savions exactement ce que nous ne voulions pas et, voulions mettre à profit notre professionnalisme tout en connaissant les limites du projet en terme d’accompagnement.

Nous voulions ouvrir une boutique tenue par des femmes professionnelles dans le domaine de la santé sexuelle, dans un quartier commerçant diversifié, avec des ouvertures en journée, une ambiance chaleureuse et ouverte, un accueil et un service après–vente qui donne du sens au projet ainsi qu’une gamme de produits choisis pour leurs critères de qualité et répondant à la demande de nos client.e.s.

En conclusion, nous voulions mettre en avant l’importance de prendre soin de soi et de sa sexualité tout en ayant conscience qu’avoir un sextoy est une option ludique qui ne remplace personne. On avait envie de faire des choix « éthiques », de ne pas vendre ou exposer certains produits afin de ne pas heurter le plus grand nombre, espérant que chaque personne se sente à l’aise en rentrant chez Evaluna.

Quel est le public qui se rend chez vous ? A-t-il évolué au cours des 20 ans d’existence de la boutique ?

Au départ, notre public était principalement composé de femmes entre 25 et 45 ans qui osaient pousser la porte de la boutique.

Petit à petit le bouche à oreilles et de nombreux articles dans les médias ont attisé la curiosité d’ un autre public, plus diversifié.

Les personnes trouvaient que la boutique était agréable, qu’on s’y sentaient à l’aise, que l’accueil était bienveillant et personnalisé et, que l’accueil et la gestion par des professionnelles en sexologie étaient une plus value.

Les hommes, plus discrets au départ, ont commencé à venir d’abord avec leurs compagnes ou amies, d’autres en groupe, puis seuls. Malgré le fait que certains fréquentaient au départ davantage les sexshops « classiques », ils ont commencé à manifester de l’intérêt pour notre boutique, en montrant toutefois une certaine pudeur vis à vis de leur sexualité.

Ceux-ci appréciaient la boutique pour l’écoute, le conseil et le cadre avec, en plus,

l’impression de plus facilement pouvoir y emmener leur partenaire.

Aujourd’hui, il y autant d’hommes que de femmes qui viennent à la boutique, ce qui va à l’encontre du stéréotype de genre selon lequel les hommes préfèrent les sexshops et « parlent de cul » de manière crue et facile. Au minimum on peut affirmer que les hommes qui viennent dans la boutique sont sensibles à notre démarche.

Les tranches d’âge ont évolué, avec des personnes de plus en plus âgées, qui sont heureuses de découvrir cet aspect ludique de la sexualité et /ou parfois leur propre plaisir d’une manière différente ou plus profonde. La boutique soutient ainsi qu’il n’y a pas d’âge pour prendre soin de soi, se découvrir, et jouir d’une sexualité épanouie. 

La boutique offre un panel de jouets et produits qui permettent de retrouver une sexualité plus confortable, de pallier certaines difficultés physiques liées à l’âge, de s’amuser de toute sorte de manières, sans être pour autant dans la course à la performance.

A noter qu’à partir d’un certain âge, selon l’éducation reçue et la libération vis-à-vis de celle-ci, les années qui passent permettent de se sentir nettement plus libre quant à ses envies, étant donné que la part l’enferment des rôles et représentations diminuent. La punch line devient bien souvent à partir d’un certain âge : « Quand il y a de la gêne, il n y a pas de plaisir »

Nous avons eu également au fur et à mesure une population de plus en plus jeune, étudiante et plus décomplexée par rapport aux jouets et aux sujets liés aux sexualités. Bien entendu il faut noter que noter boutique est située à Bruxelles et ne permet pas de généraliser ce propos.

On peut néanmoins ressentir que cette tranche d’âge ( 16 à 30 ans ) a grandi avec les réseaux sociaux et les nombreux blogs qui parlent de l’importance d’une vie affective, relationnelle et sexuelle épanouie. On peut ainsi ressentir chez eux une réelle ouverture et une nette diminution de stéréotypes liés à la race, le sexe, l’orientation et l’identité sexuelle,etc.

On peut également dire que leurs visions des modèles de couples est plus diversifiés.

La gêne est moins présente en général  : cette population vient régulièrement entre ami.e.s, parle plus facilement de sa sexualité et est assez curieux.se des nouveautés et, plus conscient.e.s de l’importance de connaître et d’aimer son propre corps. ( self love)

A contrario, les jeunes sont aussi bombardé.e.s et influencé.e.s par un marketing intensif et ont un accès illimité à un contenu à caractères sexuels sans filtres, ce qui peut parfois amener de la confusion.

C’est dans ce contexte que l’on réoriente les jeunes et moins jeunes qui arrivent avec une demande hyper précise de marques, de nom de jouet, dont ils ont entendu parlé via les réseaux sociaux sans que pour autant cela correspondent à leurs réels besoins.

Pour conclure, on peut dire qu’actuellement nous avons le plaisir d’accueillir des clients de 18 à 85 ans.

Quelles sont les étapes notables dans l’évolution des sextoys qu’a suivi la boutique ?

On pourrait dire qu’ au niveau sextoys et produits, les marques ont compris qu’un marché plus général était en train de naître à partir des années 2000. L’apparition en Europe des loveshop et leurs potentiels de client.e en constante augmentation ont fait que le marché s’est en quelque sorte démarginalisé.

Dans les années 2000, la forme des objets commence à changer, en étant moins réaliste par rapport à l’anatomie sexuelle humaine. On voit se développer des marques comme Fun Factory qui, décide de faire des jouets sur piles, colorés, de formes non phalliques et, mieux adaptés à l’anatomie du vagin/ vulve.

Les sextoys ressemblent à des dauphins, des chenilles, des taupes, etc et portent des petits noms comme Patchy Paul, Tiger, etc. Les matières évoluent et les jouets en plastique ou latex tentent à diminuer avec l’émergence du silicone médical. Le packaging évite les images de corps dénudés ou de poses subjectives pour devenir plus esthétique et moins sexiste.

Bien sur, on se souvient à l’époque de l’engouement pour le fameux « canard vibrant », tout en plastique et sur piles. Celui-ci connaît un succès important, non pas grâce à ses performances modestes, mais plutôt de par sa forme discrète, qui peux traîner partout dans la maison sans éveiller les soupçons. Celui-n’a cessé d’évoluer en d’autres versions au fil des années, mais est nettement moins vendu à ce jour, dans une époque où l’utilisation de sextoys est nettement plus assumée.

Les années 2010 suivent la même ligne, les utilisateur.ices commencent à devenir plus exigeant.e.s et la population qui utilise les sextoys ne cesse de grandir.

On voit apparaître entre autre la marque Lelo, qui lance une gamme ultra luxueuse, avec des packagings noirs et sobres qui ressemblent à des boites à bijoux, proposant des jouets en silicone de très haute qualité ainsi que l’introduction de la charge sur secteur pour toute la gamme. Les couleurs sont tendances, le chrome est souvent utilisé pour sublimer l’objet et, la technologie suit…Les prix grimpent et le public est prêt à payer pour s’offrir cet objet intime et luxueux loin de l’ image d’une sexualité crue et taboue.

D’autres marques de luxe emboîtent le pas comme, « we vibe », « je joue »,«womanizer », « crave », chacune y allant de sa spécificité et de ses codes marketing. Le silicone devient de plus en plus qualitatif et les objets deviennent waterproof .

Différentes technologies apparaissent comme des jouets avec des modes de vibrations variés, des jouets télécommandés, des jouets à oscillation, des jouets non vibrants, des jouets non pénétratifs, des sextoys à air pulsé, etc..

Les marques se spécialisent dans les jouets prostatiques ou pour pénis, comme Aneros ou Tenga et leurs toys comme les œufs et gaines en silicone ont un design neutre, et non plus une forme de bouche, de vagin ou d’anus (vaginette).

 D’autres matières se démocratisent également comme le métal, le verre, la céramique…

Les années 2020 montrent l’explosion de plus petites marques qui ont compris le potentiel des jouets et produits plus « écologiques » et plus « engagés ». On voit apparaître ou se développer des marques comme My lubie, Puissante, Goliathe, Nu.e, Exsens, Yes for lov. avec des développements de produits cosmétiques sensuels et sexuels au discours plus féministe, voire plus militant. Les packagings et l’esthétique du sont devenus primordiaux pour ces produits de niches qui se vendent dès lors dans les concept stores comme un objet « hype » et décomplexé. La communication parle «d’ objets de bien être » « d’épanouissement » et plus de jouets «sexuels »

Les couleurs et les forment se diversifient, osant des couleurs flashs ou plus sobres, les jouets sur piles tentent à disparaître, les produits dérivés sont offerts (briquet, fly, stickers, cartes à jouer, bonbons, bijoux clito..) afin de renforcer la visibilité de la marque.

Les équipes de communication des marques se livrent une bataille marketing et technologique en travaillant via les réseaux sociaux, les influenceuses, les partenariats ou concours multiples, afin de faire connaître leurs produits au plus grand nombre et de justifier leur prix de vente.

Dans ce contexte, nôtre travail en tant que loveshop est d’avantage axé sur la sélection de produits, la recherche de nouveautés et l’attention que nous portons à ne pas nous laisser embourber dans l’aspirateur marketing et la pléthore de nouveaux jouets ou produits chaque jours.

Notre formation spécialisée permet d’offrir un accueil personnalisé et des conseils adaptés à la demande réelle de la personne qui vient nous voir, en proposant des jouets que l’on considèrent, de par notre expertise, comme pertinents pour elle.

De par notre existence depuis 20 ans, nous sommes forcément une vitrine de l’évolution des mentalités et continuons à travailler chaque jour à promouvoir l’importance de la santé affective, relationnelle et sexuelle comme moteur d’épanouissement personnel.